L'avis precieux d'un grand Specialiste
Pour l'election immediate d'une Assemblee Nationale Constituante.
Par Sadok BELAID *
Une «nouvelle République», c’est une «Constituante», chargée de rédiger une nouvelle Constitution qui va fonder une nouvelle ère républicaine. Si elle est ‘nouvelle’, c’est par opposition à la précédente, que l’on veut ainsi terminer et même, enterrer, parce qu’on veut aussi marquer une rupture avec une mauvaise expérience et en inscrire les enseignements dans une nouvelle page.
La solennité de l’événement veut que ce soit le peuple souverain qui en déclenche le mouvement et qui en clôture l’accomplissement. C’est à ce titre qu’il intervient pour désigner ses représentants par des élections démocratiques. C’est aussi à ce titre qu’il interviendra de nouveau pour exprimer, par référendum, son approbation du projet de Constitution ainsi élaboré.
Un tel événement sera une première dans l’histoire constitutionnelle de la Tunisie. On en serait peut-être, surpris: mais ce sera là, en effet, la première fois que le peuple adoptera par sa votation la Constitution du pays. Il est vrai qu’au lendemain de l’Indépendance, le peuple tunisien a été appelé à élire une Assemblée constituante en vue de l’élaboration de ce qui sera la Constitution de 1959. Mais ce que l’on a peut-être oublié, c’est qu’à la fin des travaux de la Constituante, le peuple n’a pas été invité à se prononcer sur le projet de Constitution ainsi élaboré : la loi du 1er juin 1959, qui a promulgué la constitution, fait seulement mention de l’approbation de l’Assemblée nationale constituante.
Depuis cette date, l’exclusion du peuple souverain de la décision constitutionnelle a été presque définitive, et ce, par l’effet de la Constitution de 1959, elle-même: le terrible article 3 de cette Constitution, après avoir affirmé que «la souveraineté appartient au peuple tunisien», ajoute très perfidement que ce dernier «l’exerce conformément à la Constitution», c’est-à-dire, entre autres, dans les limites prescrites par les articles relatifs à la révision de ladite Constitution. Or, ces articles ont mis toute l’opération constituante entre les mains du président de la République et des deux assemblages législatifs, si on excepte le recours au référendum du 26 mai 2002, qui a été conçu non pas comme une application du principe démocratique mais bien au contraire comme un moyen de pression mis à la disposition du président de la République dans le cas où les assemblées refuseraient ou hésiteraient à adopter le projet de révision dont il a pris l’initiative. De fait, et en dehors de ce référendum du 26 mai 2002, le peuple souverain n’a jamais été consulté sur les matières constitutionnelles.
Le premier geste révolutionnaire qui doit être accompli doit donc consister à restituer au peuple souverain son pouvoir constituant, pouvoir qui lui appartient en propre et qu’il doit exercer effectivement en élisant une Assemblée nationale constituante.
Ce projet fait l’unanimité du peuple tunisien, qui en a exprimé le vœu dès le début de la Révolution du 14 janvier. Il est temps qu’il le rappelle et qu’il prenne l’initiative de le mettre en œuvre. Cette dernière peut se matérialiser par la signature par les citoyens d’une motion demandant au président de la République intérimaire la convocation des électeurs en vue de la désignation des membres de la future Assemblée.
Il ne doit pas y avoir une difficulté majeure à mettre en mouvement ce processus électoral, en raison des particularités de ces élections. En effet, l’élection d’une Assemblée constituante est une opération unique, cette Assemblée devant se dissoudre dès l’accomplissement de sa mission. Le cadre juridique des élections peut se faire sur la base d’une réglementation exceptionnelle qui définira les conditions de participation aux élections des circonscriptions et des candidatures.
Pour la première question, le décret organisant ces élections devrait spécifier que les citoyens peuvent participer aux votes sur production de la carte nationale d’identité seulement après leur inscription sur les listes électorales auprès de leurs municipalités. Pour ce qui est des circonscriptions, il pourra être décidé que les élections se feront dans le cadre des municipalités. Des comités des élections peuvent être chargés de veiller, dans chaque circonscription municipale, à la régularité des opérations électorales. La distribution des sièges se fera sur la base d’un quotient électoral national. Ce qui est important dans les élections constituantes, c’est d’aboutir à l’élection d’une Assemblée qui soit l’image la plus fidèle possible du corps électoral. A ce titre, le rôle des partis politiques est relativement secondaire. Les campagnes électorales se feront au niveau individuel des candidats et dans le cadre de la commune. De ce fait, le soutien du parti politique est peut-être utile, mais il n’est pas du tout indispensable.
L’élection d’une Assemblée spécialement réunie en vue de l’élaboration d’une nouvelle Constitution, outre qu’elle concrétisera la restitution au peuple souverain de son pouvoir constituant originaire, exprimera d’une manière solennelle la volonté de rupture avec le passé. Cette rupture se fera tout d’abord par la décision que prendra la future Assemblée de mettre fin à l’ancienne Constitution et de l’abroger définitivement. Elle se fera ensuite par la rédaction par cette Assemblée d’une nouvelle Constitution qui exprimera les choix et les priorités du peuple et aussi l’organisation du pouvoir politique qui lui semblera le plus approprié pour la réalisation de ces projets. C’est seulement à ce titre que l’on pourra dire que la Révolution du 14 janvier a atteint ses objectifs. C’est dans cette direction que nous devons, tous, diriger nos efforts.
* Ancien doyen de la faculté de Droit de Tunis
* A travaillé au Au ministère des Afaires Etangère
* Adresse Originale de l'article http://goo.gl/6TxMD
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